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Egalité salariale: quand l’index Pénicaud rattrape les petites entreprises

Depuis le 1er mars 2020, les entreprises de plus de 50 salariés doivent aussi calculer leur index d’égalité salariale. Le challenge s’est avéré plus délicat que prévu…

Article écrit par Sophie Viguier-Vinson pour l’EXPRESS , le 2 mars 2020.

La start-up Faguo a obtenu un score de 94 sur 100 à l'index Pénicaud qui s'applique depuis le 1er mars 2020 aux entreprises de moins de 250 salariés.
La start-up Faguo a obtenu un score de 94 sur 100 à l’index Pénicaud qui s’applique depuis le 1er mars 2020 aux entreprises de moins de 250 salariés. SDP

Un an après le lancement de l’index de l’égalité professionnelle femmes-hommes, appliqué aux entreprises de plus de 250 salariés, les petites structures (moins de 250 salariés) ont dû à leur tour se plier à la règle. Comme leurs grandes soeurs, elles ont dû calculer les écarts de rémunération et de répartition des augmentations individuelles, le nombre de salariées augmentées au retour de congé maternité et celui des personnes du sexe sous-représenté parmi les 10 plus hautes rémunérations, de manière à établir un score sur 100 points. Une extension logique de la mesure Pénicaud, afin de toucher le plus grand nombre, 38% des salariés français travaillant dans les quelque 80 000 PME existant sur le territoire. A un critère près : le calcul de l’écart dans les promotions n’est pas demandé. 

Pour rappel, la différence de salaire est toujours de 25% au détriment des femmes, tout temps de travail confondu, d’après les derniers chiffres de l’Observatoire des inégalités. De fait, l’index de 17% des grandes entreprises s’est bel et bien trouvé dans le rouge en 2019. Comment vont s’en sortir les entreprises de 50 à 250 salariés qui se sont lancées dans le calcul de cet index ? Si le défi était enthousiasmant, la tâche n’a pas été simple et les résultats ont donné quelques surprises. 

Un bon point d’entrée de jeu : « La création de l’index en 2018 a tout de suite suscité l’engouement et beaucoup d’entreprises ont fait des simulations pour se situer, même si elles n’étaient pas tout de suite éligibles au calcul », a pu observer Marie-Laure Hag, responsable du pôle RH du cabinet de conseil GMBA. « Au-delà du souci de progresser en matière d’égalité, elles y ont vu l’opportunité de soigner leur marque employeur pour attirer les bons profils et fidéliser leurs effectifs, tous secteurs confondus », ajoute la consultante en charge de l’accompagnement d’entreprises du numérique, de la restauration, de l’industrie, de la culture et des médias. Elle les a donc aidées en amont, et même conseillées pour redresser la barre si nécessaire, avant la date butoir du 1er mars 2020. 

La difficile collecte des données

Mais pour ces entreprises, il n’a pas été si facile de rassembler les données. Visiblement conscient de la difficulté de l’exercice, le Ministère du travail a anticipé en désignant plus de 110 référents pour répondre aux questions des PME, en proposant des formations et en mettant à disposition sur son site un simulateur censé permettre de faire le calcul en dix minutes. Un service d’assistance téléphonique est même disponible au 0800 009 110 (gratuit + prix d’un appel).  

Mais cela reste difficile pour beaucoup de PME et un véritable marché du conseil s’est ouvert pour aider les entreprises dans leur démarche. « De nombreuses données sont éparses dans différents fichiers informatiques, ou ne sont même pas encore numérisées, reconnaît Jean-Baptiste Merel, directeur des offres chez Report One, une société spécialisée dans l’accès aux données pour les PME. Il a fallu créer des outils adaptés pour les récupérer, les analyser, faciliter leur gestion et en faire de bons instruments de pilotage RH. « Et bien sûr pour, à l’avenir, être en mesure de recalculer l’index chaque année.  

La difficulté technique surmontée, les petites entreprises ont dû s’accommoder des paramètres de l’index qui ont pu générer des paradoxes à leur échelle : la masse salariale réduite ne permet pas forcément de lisser certains biais. Et de mauvaises surprises ont pu apparaître. Ainsi, la société de formation Simplon.co n’a obtenu qu’un score de 68 points. Nettement sous la barre des 75 points, en dessous de laquelle les entreprises sont réputées ne pas être dans les clous (elles ont trois ans pour corriger le tir). Si l’on attendait une bonne performance, c’est bien pourtant chez une entreprise sociale et solidaire comme celle-ci, qui compte 62% femmes parmi ses 220 salariés, et qui s’est engagée dans la formation du public féminin aux technologies numériques.  

Des scores décevants… et révélateurs

Comment expliquer alors ce score décevant ? « Nous avons perdu l’essentiel de nos points sur l’augmentation qui suit le retour de congé maternité car au moment du calcul, les quelques collaboratrices concernées étaient toutes revenues après la date de revalorisation annuelle des salaires », explique Frédéric Bardeau, cofondateur de Simplon.co. Et après ? « Ce mauvais score nous a incités à changer tout de suite de pratique pour revaloriser individuellement le salaire dès le premier jour du congé maternité. » Trop tard pour cette année, mais le score 2021 devrait logiquement être meilleur. Si Frédéric Bardeau regrette que les paramètres ne tiennent pas compte du profil de l’entreprise (secteur d’activité, pyramide des âges, etc.), il compte aussi réfléchir sur l’accroissement du nombre de personnes du sexe sous-représenté parmi les 10 plus hautes rémunérations, car Simplon.co perd également la moitié des points sur ce dernier critère. Cela devrait d’ailleurs jouer en faveur des hommes, minoritaires dans l’entreprise et pas assez nombreux parmi les salariés les mieux payés… Preuve que l’égalité – et plus exactement l’équité – profite bien à tous ! 

La Camif, quant à elle, doit se contenter d’un score de 76 points, lui aussi décalé par rapport à la politique RSE affirmée de l’entreprise, et la composante très féminine des effectifs (69% des 60 salariés). « C’est sur l’écart de rémunération que nous perdons le plus de points, notamment en raison du mode calcul pour les cadres de 30-39 ans. Nous avons dû embaucher un directeur marketing avec un salaire élevé, après le départ d’une collaboratrice qui surperformait, avait de l’ancienneté et était très bien rémunérée. Ce seul changement nous a fait perdre 16 points ! », regrette Emery Jacquillat, patron de l’entreprise depuis 2009. De là à piloter la politique d’embauche en fonction de l’index, il n’en voit pas la possibilité. « Pour nous, basés à Niort, il n’est pas facile d’attirer les talents et nous ne pouvons nous payer le luxe de choisir des femmes plutôt que des hommes, simplement pour avoir un meilleur score, alors même que nous sommes au-dessus du seuil critique », justifie-t-il. 

Et Marie-Laure Hag de s’interroger sur la nécessité d’embaucher coûte que coûte des femmes avec un haut salaire plutôt que des hommes (ou inversement) quand la parité n’est pas atteinte, alors que l’entreprise fonctionne bien en l’état et que le marché de l’emploi n’offre pas suffisamment de candidatures pour équilibrer la donne. « Ces entreprises devront-elles être durement sanctionnées en passant sous la barre des 75 points ? » Rappelons que la pénalité financière peut atteindre 1% de la masse salariale… 

Bien sûr, les bons élèves (ou les chanceux) existent aussi : à Nantes, la société Faguo, spécialisée dans la mode durable, affiche un score de 94 sur 100. Dans cette start-up qui emploie 62 personnes (dont 55% d’hommes), l’écart de rémunération hommes-femmes est légèrement favorable aux hommes, mais le taux de salariés augmentés est supérieur chez les femmes et 100% des jeunes mamans ont été augmentées à leur retour de congé maternité. Enfin, si elles ne sont que quatre femmes parmi les dix plus hautes rémunérations, Faguo obtient sur ce critère un 10/10 car cette proportion correspond peu ou prou à la part totale des femmes dans les effectifs (45%). 

En attendant la publication jeudi 5 mars d’un premier bilan par le ministère du Travail, la vertu de l’index s’est déjà affirmée : il force la vigilance sur la nécessaire égalité entre hommes et femmes, notamment en matière de politique salariale. Ce n’est pas le moindre de ses mérites. 

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